Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/76

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Je lui répondis que je m’en doutais, mais que le moment était mal choisi, car les fonds étaient bas.

– Pas les miens, dit-il. Il y a l’argent pour l’hypothèque.

Je lui rappelai que cette somme appartenait à Mme Henry.

– J’en répondrai auprès de ma femme, répliqua-t-il violemment.

– Et, puis, ajoutai-je, il y a l’hypothèque elle-même.

– Je sais, dit-il, et c’est là-dessus que je voulais vous consulter.

Je lui fis voir que ce n’était pas du tout le moment de détourner ces fonds de leur destination ; et aussi que, ce faisant, nous perdions le bénéfice de nos économies passées, pour replonger le domaine dans le bourbier. Je pris même la liberté de lui faire des remontrances ; et comme il persistait à m’opposer le même hochement de tête et un sourire d’amère résolution, mon zèle m’emporta tout à fait hors de mon rôle.

– Mais c’est de la folie en plein, m’écriai-je ; et quant à moi, je n’y prendrai aucune part.

– Vous avez l’air de vous figurer que je le fais pour mon plaisir, dit-il. Mais j’ai maintenant un enfant ; et, de plus, j’aime l’ordre et pour dire la simple vérité, Mackellar, je commençais à mettre ma fierté dans le domaine. – Il réfléchit une minute. – Mais que voulez-vous, poursuivit-il. Rien n’est à moi, rien. Depuis ce que je viens d’apprendre, mon existence a perdu toute valeur. Je suis réduit au nom et à l’ombre des choses, – oui, à l’ombre ; il n’y a pas de réalité dans mes droits.

– Ils se trouveront assez réels devant les tribunaux, répliquai-je.

Il me jeta un regard enflammé, et parut sur le point de dire quelque chose ; et je me repentis de ce que je venais de dire, car je voyais que, tout en parlant du domaine, il avait aussi en vue son mariage. Et alors, brusquement, il tira de sa poche la lettre toute froissée, la lissa sur la table avec rage, et me lut d’une voix