Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/77

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tremblante ces mots : « Mon cher Jacob… voilà comme il débute, s’écria-t-il. – Mon cher Jacob, je vous ai donné ce nom une fois, vous vous le rappelez sans doute, et vous avez à présent réalisé la chose, et m’avez envoyé par-dessus les moulins… » Que pensez-vous de ceci, Mackellar, venant d’un frère unique ? J’affirme devant Dieu que je l’aimais bien ; je lui fus toujours attaché, et voilà ce qu’il m’écrit ! Mais je ne veux pas rester sous cette imputation – (marchant de long en large) – je le vaux bien ; je vaux mieux que lui, je le prouverai devant Dieu ! je ne saurais lui donner les sommes énormes qu’il réclame ; il sait que nos biens n’y suffiraient pas, mais je veux lui donner ce que j’ai, et c’est plus qu’il n’espère. J’ai supporté tout ceci trop longtemps… Voyez ce qu’il écrit encore, lisez vous-même : « Je vous connais pour un chien d’avaricieux… » Un chien d’avaricieux ! Moi, avaricieux ! Est-ce vrai, Mackellar ? le croyez-vous ? – (Je pensai réellement qu’il allait me frapper.) – Oh ! vous le croyez tous ! Eh bien, vous verrez, et il verra, et Dieu verra. Dussé-je ruiner le domaine et aller nu-pieds, je gorgerai cette sangsue. Qu’il demande tout… tout, et il l’aura ! Tout est à lui, régulièrement… Ah ! s’écria-t-il, et dire que j’avais prévu tout ceci, et pis même, quand il refusa de me laisser partir.

Il se versa encore un verre de vin, et allait le porter à ses lèvres, quand je me permis de poser le doigt sur son bras. Il s’arrêta.

– Vous avez raison, dit-il. – Et il jeta dans l’âtre le verre avec son contenu. – Allons compter l’argent.

Je n’osai plus l’empêcher ; d’ailleurs, j’étais fort affecté de voir tellement bouleversé un homme d’habitude si retenu. Je m’assis à côté de lui, comptai l’argent, et l’empaquetai, pour la plus grande commodité du colonel, qui devait le prendre avec lui. Ceci fait, Mr. Henry s’en retourna dans la salle, où Mylord et lui passèrent la nuit à causer avec leur hôte.

Un peu avant l’aube, on m’appela pour escorter le colonel. Il eût préféré sans doute un autre convoyeur, car il s’estimait beaucoup ; mais nous ne pûmes lui en