Page:Stevenson - Le Mort vivant.djvu/205

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monter dans le train qui allait le conduire à Hampton-Court. Mais, le croira-t-on ? la vue de son œuvre ne provoqua chez lui qu’un sourire dédaigneux. « Quelle vaine ambition de paresseux, se dit-il, que celle d’un faiseur de livres ! » Il eut honte de s’être abaissé jusqu’à la pratique d’un art aussi enfantin. Tout entier à la pensée de sa première cause, il se sentait enfin devenu un homme. Et la muse qui préside au roman-feuilleton (une dame qui doit être sans doute d’origine française) s’envola d’auprès de lui, pour aller se mêler de nouveau à la danse de ses sœurs, autour des immortelles fontaines de l’Hélicon.

Durant toute la demi-heure du voyage, de saines et robustes réflexions pratiques égayèrent l’âme du jeune avocat. À tout instant, il se choisissait, par la portière du wagon, la petite maison de campagne qui allait bientôt devenir l’asile de sa vie. Et déjà, en parfait propriétaire, il projetait des améliorations aux maisons qu’il voyait ; à l’une, il ajoutait une écurie ; à l’autre, un jeu de tennis ; il s’imaginait le charmant aspect qu’aurait une troisième, lorsque, en face d’elle, sur la rivière, il se serait fait construire un pavillon de bois, « Et quand je pense, se disait-il, qu’il y a une heure à peine j’étais encore un insouciant jeune sot, uniquement occupé de canotage et de