Aller au contenu

Page:Stevenson - Le Roman du prince Othon.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
233
HEUREUSE INFORTUNE

individuel. La lune, telle qu’une viole, ne sait que louer ou pleurer notre destinée particulière. Seules les étoiles, sereines confidentes, s’entretiennent avec chacun de nous comme des amies ; comme des vieillards pleins de sagesse et riches en tolérance, elles écoutent en souriant le récit de nos misères ; et par leur double balance, si infimes à l’œil, si vastes à notre imagination, elles rappellent constamment à notre esprit le caractère double de la nature et de la destinée humaines.

Là siégeait la princesse, dans sa beauté contemplant la beauté, tenant chapitre avec ces bienveillants conseillers. La mémoire fit jouer devant elle, colorées comme autant de tableaux, claires comme une voix à l’oreille, les scènes tumultueuses de la soirée : la comtesse et son éventail dansant, le grand baron à genoux, le sang sur le parquet, les coups à la porte, le balancement de la litière descendant l’avenue de lampes, le messager, les cris de la populace se ruant à la charge. Tout cela cependant à distance, comme une fantasmagorie : elle gardait en même temps conscience de la paix et du silence réconfortants de la nuit. Ses yeux se tournèrent du côté de Mittwalden : par-dessus les collines qui déjà en masquaient la vue, une lueur rouge intermittente dénonçait l’incendie. Bien… c’était fort bien. Mieux valait au moins qu’elle tombât avec une tragique grandeur, éclairée par un palais en flammes. De pitié pour Gondremark, elle n’en éprouvait pas l’ombre ; pas la moindre trace, non plus, de souci pour le sort de Grunewald. Cette période de sa vie était close à jamais. Il n’en survivait que la douleur d’une vanité blessée.