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Page:Stevenson - Le Roman du prince Othon.djvu/263

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HEUREUSE INFORTUNE

était évident que le voyageur avait de beaucoup devancé son équipage.

Il se trouvait déjà fort près de l’endroit où gisait la princesse endormie, quand son regard tomba sur elle ; mais alors il fit un soubresaut, remit son carnet dans sa poche, et s’approcha. Tout près d’elle se trouvait une borne ; il s’y assit, et se livra froidement à la contemplation. La princesse était couchée sur le côté, toute ramassée ; l’un de ses bras nus supportait son front, l’autre s’étendait inerte et potelé. Son jeune corps, tel qu’une chose qu’on aurait jetée à terre, donnait à peine signe de vie ; le souffle même ne l’agitait pas. Une fatigue mortelle se révélait ainsi dans toutes les langues que peut parler la chair assoupie. Le voyageur eut un froid sourire. Comme s’il n’eût à regarder là qu’une statue, il fit, comme à contre-cœur, l’inventaire des charmes de la princesse. L’impression qu’elle produisait, dans ce touchant abandon de l’oubli, le remplit de surprise. L’incarnat du sommeil la parait comme une fleur.

— Parole d’honneur, pensa-t-il, jamais je n’aurais cru qu’elle pût être si jolie… Et dire, ajouta-t-il, qu’il m’est interdit de faire usage d’un seul mot de tout ceci !

Il avança sa canne et la toucha. À ce contact elle se réveilla, et, poussant un cri et le regardant avec des yeux effarés, elle se releva sur son séant. Il fit un signe de tête :

— J’espère, dit-il, que Votre Altesse a bien dormi ?

Mais elle ne répondit que par un son inarticulé.