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LE ROMAN DU PRINCE OTHON

contre, ce qui fut fait. Avec grande courtoisie il fit monter la princesse, prit place à côté d’elle ; puis de divers réceptacles (car la berline était aménagée de la façon la plus parfaite) il tira des fruits, un pâté de foies truffés et une bouteille d’un crû délicat. Ainsi approvisionné, il se mit à la servir d’un air paternel, l’invitant sans cesse à de nouveaux efforts. Pendant tout ce temps, comme s’il se fût senti contraint par les lois de l’hospitalité, il demeura innocent de toute ombre de moquerie. Sa bienveillance semblait si réelle, du reste, que Séraphine fut émue de reconnaissance.

— Sir John, dit-elle, au fond vous me détestez. Pourquoi êtes-vous si bon pour moi ?

— Ah ! chère Madame, dit-il, sans toutefois nier l’accusation, j’ai l’honneur d’être grand ami de votre mari, et quelque peu son admirateur.

— Vous ? s’écria-t-elle. On m’a dit que vous écriviez des choses bien cruelles sur nous deux.

— Tel, en effet, a été le chemin étrange qui nous amena à faire connaissance, dit Sir John. J’avais écrit, Madame, des choses tout particulièrement cruelles (puisque cruel est le mot) touchant votre belle personne. Votre époux me mit en liberté, me donna un passeport, commanda une berline pour moi, et ensuite, avec une ardeur toute juvénile, me provoqua en duel. Connaissant le caractère de sa vie de ménage, cet entrain et cette loyauté me parurent tout à fait charmants. Ne craignez rien, me dit-il, si je suis tué il n’y aura personne pour s’en apercevoir… Il paraît que vous eûtes vous-même, Madame, précisément la même