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PRINCE ERRANT

— Pas un mot de plus, Monsieur ! dit le prince. Puis, après un moment, d’un ton de colère et de mépris : Encore une fois, ajouta-t-il, je vous conseille de renoncer à la politique. Et si jamais je vous revois, que je vous revoie moins gris ! Un homme qui s’enivre dès le matin, est bien le dernier qui ait le droit de porter un jugement, même sur le pire des princes,

— J’ai pris une goutte, mais je n’ai pas bu, précisa l’homme, l’air tout triomphant de sa judicieuse distinction. Et même, mettons que j’aie bu… eh bien ! après ? Personne ne dépend de moi. Mais ma scierie chôme et j’en accuse votre femme. Suis-je le seul ? Allez le demander partout. Que font nos scieries ? Que font les jeunes gens qui devraient avoir du travail ? Et l’argent, comment circule-t-il ? Tout est enrayé. Non, Monsieur, c’est bien différent… car je souffre de vos fautes, moi ; je paye pour elles de ma bourse… de la bourse d’un pauvre homme, pardine ! Mais mes fautes, en quoi vous regardent-elles ? Gris ou non, je puis toujours bien voir que le pays va à tous les diables, et voir aussi à qui en est le tort. Maintenant, j’ai dit mon dire ; faites-moi jeter, si bon vous semble, dans vos prisons empestées… ça m’est égal. J’ai parlé vrai. Sur quoi, je reste en arrière, pour débarrasser votre Altesse de ma société. Et le scieur, arrêtant son cheval, salua gauchement.

— Je vous ferai observer, dit Othon, que je ne vous ai pas demandé votre nom. Je vous souhaite une bonne promenade. Et il partit au galop.

Mais, quelque allure qu’il prît, cette entrevue