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teuse par son nom, qui était Flora ; la jeune femme se hâta de m’acheter le premier objet venu, et, rejoignit ses compagnons.

Quelques jours plus tard, elle revint de nouveau. Mais il faut d’abord que je vous explique pourquoi ses visites avaient lieu aussi souvent. C’est que sa tante, avec qui elle vivait, était une de ces terribles vieilles filles anglaises dont le monde entier a déjà beaucoup entendu parler. N’ayant absolument rien à faire, et sachant un mot ou deux de français, la vieille tante s’était prise de ce qu’elle nommait « un vif intérêt pour les prisonniers ». Grosse, bruyante, hardie, elle se pavanait dans notre cour avec d’intolérables airs de patronage et de condescendance. Je dois à la vérité de dire qu’elle achetait souvent, et sans marchander ; mais sa façon de nous dévisager à travers son lorgnon, sa façon de servir de cicerone à ses relations, tout cela nous dispensait de reconnaissance pour elle. Toujours, en effet, elle traînait à sa suite un cortège de vieux messieurs pesants et obséquieux, ou de sottes jeunes miss qui ricanaient en minaudant ; et l’on voyait qu’elle s’était constituée l’oracle de tout son auditoire. « Celui-ci, disait-elle de l’un de nous, sait vraiment découper le bois avec assez d’adresse ; et comme il est drôle, n’est-ce pas ? avec sa grosse moustache ! Et celui-ci, poursuivait-elle en me désignant avec son lorgnon d’argent, celui-ci est, sans aucun doute, le plus drôle de la bande ! »

Le jour en question, la tante était venue avec une suite encore plus nombreuse que de coutume ; et elle la promena de long en large, parmi nous, plus longtemps encore qu’à l’ordinaire, en lui faisant la leçon à notre sujet d’une façon particulièrement impertinente. Pendant tout cet examen, je tins les yeux fixés dans une même direction, mais vainement. La tante allait de l’un à l’autre, nous forçait à venir vers elle, nous montrait comme des singes en cage ; mais la nièce restait à l’extrémité du groupe, du côté opposé de la cour, et ne fit pas mine de s’apercevoir de ma pré-