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le toucher ; mais, de mille petits traits de son récit, je pus conclure que la famille dont il nous parlait avait été réellement pleine d’affection pour lui. Le fils et la fille de la maison lui allumaient son feu de leurs propres mains ; et quand il recevait des lettres de France, il les lisait tout haut, dans le salon, à la famille réunie, les traduisant à mesure dans un étrange jargon franco-anglais qu’il s’était composé. Ces braves gens l’avaient aidé dans sa fuite ; le manteau de camelot avait été cousu expressément pour lui ; et il portait dans sa poche une lettre de la fille de ses hôtes pour sa propre fille.

J’avais plaisir à penser qu’il avait trouvé ces bons amis dans sa captivité. Mais, hélas ! de jour en jour je perdais davantage l’espoir qu’il vécût assez longtemps pour arriver jusqu’au chevet de sa fille, par amour de laquelle il avait rompu sa parole d’honneur : les difficultés du voyage, la fatigue, le froid, tout cela achevait de le tuer. Je faisais pour lui tout ce qui était en mon pouvoir : je l’aidais à manger, je le couvrais, je veillais sur son sommeil, je le soutenais de mon bras dans les marches à pied. « Champdivers, me dit-il un jour, vous êtes comme un fils pour moi, comme un fils ! » Et le souvenir de cette parole me fait du bien aujourd’hui, quoique, sur le moment, j’en aie été navré. Mais tous les soins étaient inutiles. Si vite que nous voyagions vers la France, il voyageait plus vite encore vers une autre destination. Chaque jour il devenait plus faible et plus indifférent. Un vieil accent rustique de sa Gascogne reparaissait dans son discours, avec des mots de patois que nous étions parfois en peine de comprendre.

Le dernier jour, il recommença son éternelle histoire de la croix de l’empereur. Le major, qu’un rhume persistant rendait particulièrement grognon, fit un geste d’impatience, comme pour protester. « Pardonnez-moi, monsieur le commandant, dit le colonel, mais c’est pour monsieur ! Monsieur n’a pas encore entendu cette histoire, et il a la bonté de s’y intéresser ! » Mais aussitôt après il perdit le