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« Du moins vous ne pouvez manquer de regretter la France ! dit-elle ; et elle rougit un peu comme honteuse de ne pouvoir pas mieux prononcer ce mot.

— Que vous dirai-je à cela, mademoiselle ? Si vous vous trouviez brusquement transportée loin de ce pays, où vous semblez être si parfaitement adaptée que les pluies mêmes et les bourrasques vous siéent comme autant d’ornements, n’auriez-vous point l’âme toute pleine de regrets ? L’enfant regrette sa mère, quand il en est séparé ; l’homme regrette sa patrie : c’est notre nature qui le veut ainsi !

— Vous avez une mère ? demanda-t-elle.

— Au ciel, madame ! répondis-je. Ma mère, et mon père aussi, sont montés au ciel par le même chemin que bien d’autres, parmi les plus beaux et les meilleurs de notre race : ils ont suivi leur souverain à la guillotine. De telle sorte que, comme vous voyez, je ne mérite pas autant votre pitié que bon nombre de mes camarades, à commencer par le pauvre garçon que vous apercevez là-bas, en bonnet de drap. Son lit est dans la même chambrée que le mien, et souvent, la nuit, je l’entends soupirer. C’est l’âme la plus tendre et la plus gentille du monde. La nuit, et parfois aussi le jour, quand il peut se trouver seul avec moi, il se lamente devant moi de l’absence de sa mère et de sa fiancée. Et devineriez-vous ce qui l’a amené à faire de moi son confident ? »

Les lèvres de la jeune fille se desserrèrent, mais elle ne dit rien. Elle se borna à me regarder, et son regard s’enflamma tout entier de tendre pitié.

« Eh bien ! dis-je, c’est que, un jour, en passant avec mon régiment, j’ai entrevu de loin le clocher de son village ! N’y a-t-il point là de quoi vous toucher ? Mais, en cela, du moins, mon compagnon est plus heureux que moi, qui n’ai même personne pour parler avec moi de lieux dont me voici, sans doute, à jamais séparé ! »

Je reposai mon menton sur mon genou, et baissai les yeux.

« Tenez, me dit tout à coup la jeune fille, je vous prends cette boîte !