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Son chapeau et sa perruque pendaient à un crochet, derrière lui. Il avait un crâne chauve comme un gras de lard, et l’expression la plus rusée qu’on pût voir. Il semblait s’estimer très supérieur à sa compagnie, se donnant les apparences d’un homme du monde parmi les rustres qui l’entouraient : ce en quoi il montrait de l’exagération, attendu que, comme je l’appris par la suite, il n’était rien de plus qu’un clerc de notaire.

Ce soir-là, le major m’avait précédé à l’auberge : lorsque j’y entrai, je le trouvai déjà soupant à une petite table. Ma venue parut interrompre une conversation des plus animées ; et tout de suite je flairai qu’il y avait du danger dans l’air. Le major avait une mine toute penaude, le clerc de notaire une mine triomphante ; et les quatre ou cinq paysans qui jouaient le rôle du chœur, à la grande table, avaient laissé éteindre leurs pipes.

« Je vous souhaite le bonsoir, monsieur ! me dit le clerc de notaire.

— La même chose à vous, monsieur ! répondis-je.

— Nous allons bien voir ce qui en est ! » murmura le clerc à ses compagnons avec un clignement d’yeux. Puis, dès que j’eus commandé mon repas :

« S’il vous plaît, monsieur, où allez-vous ? me demanda-t-il.

— Monsieur, je ne suis point de ceux qui parlent de leurs affaires dans les lieux publics.

— Une bonne réponse, dit-il, et un principe excellent ! Mais, dites-moi, monsieur, parlez-vous français ?

— Hélas non, monsieur ! répondis-je. Quelques mots d’allemand, pour vous servir !

— Mais vous connaissez l’accent français, peut-être ? dit le clerc.

— L’accent français ? ma foi, je crois bien que je reconnaîtrais un Français au dixième mot qu’il dirait.

— Eh bien ! en ce cas, voici un problème pour vous ! Quant à moi, je n’ai aucun doute, mais quelques-uns de ces messieurs ne veulent pas me croire, faute d’avoir reçu