mort, avec ses bras croisés, il me faisait encore l’effet d’une araignée guettant une proie. Sa parole était très nette et très polie, mais à peine plus haute qu’un soupir.
« Je vous souhaite la bienvenue, monsieur ! me dit-il, sans bouger de ses oreillers, mais en ouvrant droit sur moi ses grands yeux exsangues. C’est moi qui vous ai mandé, par l’entremise de mon notaire Romaine, et je vous remercie de la hâte obligeante que vous avez montrée. Je suis désolé de ne pouvoir point me lever pour vous recevoir. Je suppose, du moins, qu’on ne vous aura laissé manquer de rien ?
— Monsieur mon oncle, dis-je en saluant très bas, je suis venu à l’appel du chef de notre maison !
— C’est bien ! dit-il. Je vous en sais gré. Asseyez-vous ! Je serais heureux d’apprendre de votre bouche quelques nouvelles de vous et des vôtres, si toutefois on peut donner le nom de « nouvelles » à des choses vieilles déjà de vingt ans. »
La froideur de son accent m’avait plongé dans une mélancolie qu’aggravaient encore les affreux souvenirs évoqués en moi par son approche. Je me sentais entouré comme d’un désert d’indifférence ; et tout le ravissement que j’avais éprouvé depuis mon arrivée dans la maison s’était brusquement réduit en cendres.
« J’espère, monsieur, dis-je, que vous n’exigerez point de moi le récit de la fin de mes malheureux parents ?
— Vous avez raison. J’ai été suffisamment informé de ces événements déplorables ; et leur souvenir m’est pénible, à moi aussi. Voyez-vous, monsieur mon neveu, votre père était un homme qui s’obstinait à ne pas vouloir entendre les bons conseils ! Mais dites-moi, s’il vous plaît, ce qui vous est arrivé à vous-même !
— Il faudra cependant, pour cela, que je risque de froisser votre sensibilité, dis-je avec un sourire amer, car je suis forcé de commencer mon histoire au pied de la guillotine. Lorsque la liste vint, ce soir-là, et que ma mère vit que son nom s’y trouvait, elle… »