— De quelle espèce d’homme est-il donc ? demandai-je, pendant que le fracas des roues grandissait encore.
— Oh ! d’une espèce particulièrement dangereuse pour vous ! répondit le notaire. Personne ne l’aime ici : nous le haïssons plutôt. Et cependant j’éprouve un sentiment — je ne dirai pas de pitié, non — mais de répugnance à la pensée de voir se briser quelque chose d’aussi énorme et d’aussi représentatif, comme si cet homme était un gros vase de porcelaine ou un tableau de prix. Oui, tenez, voilà ce que j’attendais ! reprit le notaire en prêtant l’oreille à un nouveau bruit de roues qui résonnait dans l’avenue. C’est lui, sans aucun doute ! Deux voitures, la seconde suivant avec les bagages, qui sont toujours de poids, et avec un de ses valets ! Il ne saurait faire un pas sans être escorté d’un valet !
— Vous dites qu’il a quelque chose d’énorme ? repris-je. Serait-ce au point de vue de sa taille ?
— Non, répondit le notaire. Sa taille est à peu près la vôtre, ainsi que je l’ai bien deviné dans mes indications à votre tailleur. Mais, je ne sais comment, il donne une impression de grandeur. Il a des manières toujours amples, et, toute sa vie, il s’est entouré d’une telle atmosphère de somptuosité, avec ses calèches, et ses chevaux de course, et ses dés, que, je ne sais comment, il en impose ! J’ai l’impression que, quand la farce sera jouée et qu’il sera décidément interné en prison, quand il n’y aura plus au monde que Bonaparte et lord Wellington, j’ai l’impression que le monde deviendra plus vide. Mais ce n’est point de cela que nous avons à parler ! Nous sommes sous le feu, monsieur Anne, comme on dit dans notre métier ; et il n’est que temps que nous nous apprêtions à agir. Votre cousin ne doit pas vous voir : ce serait désastreux. Il ne sait rien de vous à présent, sinon que vous lui ressemblez, et c’est déjà plus qu’assez. Si la chose était possible, je souhaiterais qu’il ne sût point que vous êtes venu ici.
— Hélas, cette chose-là est tout à fait impossible ! dis-je. Quelques-uns des domestiques de la maison servent