Page:Stevenson - Saint-Yves.djvu/177

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celle-ci grandit encore lorsque, tous les domestiques s’étant écoulés dans le corridor et nous ayant laissés seuls avec mon grand-oncle et le notaire, je vis mon cousin s’avancer vers le lit, faire une révérence pleine de dignité et dire, s’adressant résolument à l’homme qui venait de proclamer sa dégradation :

« Mon oncle, vous vous êtes plu à me traiter d’une manière que ma reconnaissance et l’état où vous êtes m’interdisent également de mettre en question. Mais je ne puis m’empêcher de rappeler à votre souvenir le long espace de temps pendant lequel j’ai été autorisé à me regarder comme votre héritier. Dans cette position, j’ai cru de mon droit de me permettre une certaine quantité de dépenses. Si maintenant je me trouve renvoyé avec un shilling, comme récompense de vingt ans de soins et de dévouement, je serai réduit à devenir non seulement un mendiant, mais un banqueroutier ? »

Soit que ce fût un effet de la fatigue de son discours, ou bien une nouvelle inspiration de sa haine, mon oncle avait, une fois de plus, fermé les yeux ; il ne prit pas la peine de les rouvrir. « Pas même avec un shilling ! » se contenta-t-il de répondre ; et, tandis qu’il disait cela, une sorte de sourire erra sur ses traits, qui dès l’instant suivant s’effaça, laissant derrière lui le vieux masque impénétrable de l’âge, de la fatigue et de la ruse. Sans aucun doute, mon oncle jouissait de l’aventure comme il n’avait joui que de peu de choses depuis un quart de siècle. Le feu de la vie survivait à peine, dans ce corps fragile mais la haine, comme une flamme immortelle, y restait toujours vivace et brillante.

Cependant, mon cousin revint à la charge.

« Je ne puis point parler librement ! reprit-il. L’homme qui m’a supplanté, et qui me paraît avoir plus d’esprit que de délicatesse, s’obstine à ne point quitter cette chambre ! » Et il me lança un regard qui aurait desséché un chêne.

Aussi bien avais-je le plus vif désir de me retirer, malgré toute l’insistance du notaire à m’en empêcher. Mais