attendre jusqu’au lendemain. En conséquence, je payai la somme convenue, qui ne dépassait, au reste, que d’une vingtaine de livres le prix raisonnable de la voiture, j’ordonnai qu’on tînt l’équipage prêt dans une demi-heure, et je pus enfin m’occuper de me réconforter en mangeant quelque chose.
La table devant laquelle je m’assis occupait la saillie d’une baie vitrée et m’offrait la vue du seuil de l’auberge, où je me divertissais à suivre les mille scènes diverses de la comédie du départ, chacun des voyageurs exhibant son caractère particulier dans cet acte si spécial : prendre congé. Les uns étaient escortés jusqu’à l’étrier de leur cheval ou jusqu’au siège de leur chaise par le valet d’écurie, les femmes de chambre et les garçons d’auberge, presque en corps ; d’autres s’en allaient maussades et pressés, sans personne pour leur dire adieu. Mais surtout il y eut un de ces départs où les adieux me semblèrent prendre les proportions d’un triomphe. Non seulement la basse domesticité, mais la dame de l’auberge et mon ami le maître de poste lui-même étaient descendus jusqu’au bas du perron pour saluer le partant. Je remarquai aussi que tout ce monde riait, d’où je conclus que le voyageur était un homme d’esprit et capable de rabaisser sa dignité pour la mettre au niveau d’une telle compagnie. Saisi d’une curiosité toute particulière, je me penchai en avant pour mieux voir l’ensemble de la scène et, dès la minute suivante, me voilà blotti prudemment derrière la théière ! Car le voyageur favori s’était retourné pour faire, de la main, un dernier signe d’adieu ; et voilà que j’avais reconnu en lui mon cousin Alain ! Mais combien différent de l’homme pâle et furieux que j’avais vu la veille à Amersham Place ! La mine fraîche, le teint illuminé, couronné de ses boucles comme une statue de Bacchus, il était là, debout sur le marchepied de sa calèche, parfaitement maître de lui et souriant avec un air de condescendance tout à fait odieux. Il me rappelait à la fois un prince du sang, un acteur qui commencerait à vieillir, un