magnifique arracheur de dents qui serait né le fils naturel d’un gentilhomme. Dès l’instant d’après, sa calèche glissa silencieusement sur la neige de la cour.
Alors seulement je retrouvai mon souffle. Avec une reconnaissance bien vive, je constatai combien la chance m’avait favorisé, cette fois encore, en me faisant entrer dans l’auberge par la porte de derrière au lieu de la grand’porte ; et je songeai quelle occasion de rencontrer mon cousin j’avais perdue en faisant l’achat de la chaise.
Mais, dès l’instant suivant, je me rappelai qu’il y avait là un garçon d’auberge, debout près de moi. Sans doute il m’avait vu, lorsque je m’étais caché derrière l’appareil de mon déjeuner ; et je crus indispensable de tenter quelque chose pour effacer la fâcheuse impression qu’il devait avoir gardée de ma façon d’agir.
« Dites-moi, lui demandai-je, n’est-ce pas le neveu du marquis Carwell qui vient de partir ?
— Parfaitement, monsieur. Nous l’appelons le vicomte Carwell.
— C’est bien ce que je croyais ! fis-je. Que le diable emporte tous ces Français !
– Vous avez bien raison dans ce que vous dites monsieur ! répondit le garçon. Le fait est qu’ils ont des manières dont rougirait un gentleman de chez nous !
— Des accès de mauvaise humeur ? suggérai-je.
— Oh ! d’une humeur infernale ! dit le garçon avec ressentiment. Figurez-vous que, pas plus tard que ce matin, ce vicomte en question était assis là, occupé à déjeuner et à lire son journal ! Je suppose qu’il sera tombé sur quelque information politique, ou encore sur une nouvelle concernant les courses ; toujours est-il que le voilà qui donne un grand coup sur la table et qui commande un verre de curaçao ! Cela m’a retourné les sangs, tellement il y a mis de brusquerie. Eh bien ! monsieur, voici ce que je dis : je dis que ce sont peut-être des manières admises en France ; mais moi, ce qui est sûr, je ne suis pas accoutumé à en souffrir de pareilles !