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Page:Stevenson - Saint-Yves.djvu/206

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chacune enroulée dans un plaid, chacune armée d’un énorme gourdin. Et aussitôt je fus atterré de les avoir oubliées si longtemps et de n’avoir jamais pensé à elles que d’une façon si lointaine et si cavalière.

Sans aucun doute possible, voilà quel était mon devoir ! Avant même d’être Français, j’étais un gentilhomme, j’étais un honnête homme. Je ne pouvais pas permettre que Sim et Candlish payassent la peine de mon malheureux coup de bâton. Je m’étais tacitement engagé d’honneur à leur venir en aide ; et c’était à cela que je devais travailler avant tout. J’éprouvais un mélange de surprise et d’humiliation à songer que, ayant devant moi un devoir aussi évident, j’eusse pu aussi longtemps le négliger ou même l’oublier.

Je crois bien que tout honnête homme me comprendra si je dis que, m’étant recouché, je m’endormis après cela avec une conscience bien plus à l’aise et me réveillai le lendemain matin avec un cœur plus léger. Le danger même de l’entreprise me rassurait. Suivant toute probabilité j’aurais, pour sauver Sim et Candlish, à me présenter en personne devant une cour de justice, avec des conséquences auxquelles je n’osais pas réfléchir. Personne ne pourrait me reprocher d’avoir choisi la voie la plus douce et la plus facile !

Nous reprîmes notre voyage avec plus de hâte. Désormais nous courûmes la poste le jour et la nuit, ne nous arrêtant que le temps nécessaire pour prendre nos repas. Volontiers j’aurais loué quatre chevaux, comme mon cousin Alain, pour aller plus vite. Mais je craignais de me faire remarquer. Aussi bien attirions-nous déjà très suffisamment l’attention avec nos deux chevaux et le déplorable éléphant blanc qu’était ma chaise lie-de-vin de soixante-dix livres.

Parfois j’avais honte de regarder Rowley dans les yeux. Ce blanc-bec m’avait mis dans mon tort ; il m’avait valu une nuit d’insomnie et une humiliation, saine, mais sévère : je me sentais à la fois reconnaissant et gêné en sa