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animation au milieu du chemin, et les deux postillons, chacun avec sa paire de chevaux, considérant la scène et riant du haut de leurs selles.

« Ah ! par exemple, voilà de la casse ! » s’écria Rowley, en rengainant vivement son flageolet au beau milieu d’une romance.

En effet, il y avait là de la « casse », et plus encore peut-être au point de vue moral que matériel : car, clair comme le jour, le couple fugitif était en train de se quereller.

J’ai dit que ce couple était formé d’un homme et d’une femme : j’aurais dû dire, plutôt, d’un homme et d’une enfant. Elle n’avait sûrement pas plus de dix-sept ans, jolie comme un ange, tout juste assez potelée pour damner un saint, et toute vêtue de nuances diverses de bleu, depuis ses bas jusqu’à son insolent petit bonnet, avec une sorte d’harmonie musicale dont la note dominante parvint jusqu’à moi, tout à coup, sous la forme d’un regard éploré de ses grands yeux bleus. Tout de suite, en recevant ce regard, je compris tout. D’un pensionnat de province, d’un tableau noir, d’un piano et des Sonatines de Clementi, l’enfant s’était brusquement précipitée dans la vie en compagnie d’un jeune commis de boutique, pressant et mal élevé ; et déjà elle en était non seulement à regretter sa folie, mais à en exprimer son regret de la façon la plus manifeste.

Lorsque je m’arrêtai et descendis de ma chaise, les deux personnages se turent, avec la mine toute particulière d’un couple brusquement interrompu au milieu d’une scène. Je me découvris devant la jeune femme et mis mes services à sa disposition.

Ce fut l’homme qui répondit.

« Il n’y a pas d’avantage pour nous à vous conter des histoires, monsieur ! Cette dame et moi nous nous sommes sauvés, pour aller nous marier à Gretna, monsieur ; et son père est à nos trousses ; et voilà que ces idiots nous ont jetés dans le fossé et ont brisé notre voiture !

— C’est désolant ! répondis-je.