Flora, toujours sans s’apercevoir de ma présence, continuait à regarder devant elle, sur l’image reflétée de la fenêtre, les ombres droites des longs barreaux ; ou bien elle considérait le scintillement des cailloux du sentier, ou, plus loin, l’impénétrable nuit où étaient plongés le jardin et les collines d’au delà. Tout à coup, sa poitrine se souleva, et elle poussa un petit soupir qui retentit dans mon cœur comme un appel.
« Qui peut causer le soupir de Miss Gilchrist ? murmurai-je. Serait-ce un souvenir des amis absents ? »
Vivement, elle retourna la tête de mon côté ; ce fut le seul signe de surprise qu’elle daigna faire. Au même instant je m’avançai hors de l’ombre et m’inclinai profondément.
« Vous ! dit-elle, vous ici ?
— Oui, c’est moi qui suis ici ! répondis-je. Je suis venu de très loin, de plus de cent cinquante lieues, pour vous voir. J’ai attendu toute cette nuit dans votre jardin. Miss Gilchrist ne voudra-t-elle pas tendre sa main à un ami en peine ? »
Elle me tendit sa main à travers les barreaux ; et deux fois je baisai cette main, après m’être jeté sur un genou, dans le sentier plein d’eau. Au second baiser, la main me fut tout à coup retirée, d’un mouvement brusque, et qui me sembla l’effet d’une résolution soudaine. Je repris mon attitude précédente ; et, pour un moment, nous restâmes en silence. Toute ma timidité m’avait ressaisi. Je me risquai cependant à regarder Flora dans les yeux, pour voir s’il s’y trouvait quelque trace de colère ; ses yeux tremblèrent et se détournèrent des miens ; et j’en fus rassuré.
« Il faut que vous ayez perdu la tête, pour être revenu ici ! dit-elle enfin. De tous les lieux du monde, celui-ci est pour vous le plus dangereux. Et moi qui étais précisément en train de songer que vous deviez maintenant vous trouver en sûreté dans votre pays !
— Vous pensiez à moi ? m’écriai-je.
— Monsieur de Saint-Yves, vous ne vous rendez pas compte du danger où vous êtes ! répondit-elle. Moi, je m’en rends compte, et pourtant je ne puis pas trouver dans mon