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conséquence, j’entrai aussitôt dans le récit de mes aventures. C’était le même récit qu’on vient de lire, mais plus bref, et raconté avec une intention différente. Tout, jusqu’aux moindres incidents, y avait une portée spéciale ; tous les sentiers y concouraient à un même but, qui était le cœur de ma bien-aimée.

Dès le commencement de mon récit, je m’étais agenouillé sur le gravier, en face de la fenêtre inférieure, j’avais appuyé mes bras sur le rebord, et baissé ma voix au ton d’un murmure de confidence. Flora elle-même s’était mise à genoux de l’autre côté, pour être au même niveau ; de telle sorte que nos têtes se seraient touchées sans les barreaux qui les séparaient. Ainsi unis, ainsi séparés, je sentais que le son bas et continu de ma voix ardente agissait peu à peu sur le cœur de Flora, et n’agissait pas moins sur mon propre cœur. Car le charme des paroles d’amour est à double effet. Les oiseaux peuvent bien être charmés par la flûte de l’oiseleur, un simple tube de jonc : mais non point les grands oiseaux que nous sommes ! À mesure que je parlais, et que ma résolution se renforçait, et que ma voix trouvait des modulations nouvelles, et que nos visages se rapprochaient des barreaux, Flora et moi succombions également à la fascination. Ce n’est qu’avec son propre cœur qu’on prend un cœur.

« Et maintenant, poursuivis-je, je vais vous dire quelque chose que vous pouvez encore faire pour moi. Je cours un certain risque, ces jours-ci ; et vous voyez vous-même comment, en ma qualité d’homme d’honneur, je suis tenu de le courir. Mais si… mais en mettant les choses au pis, je n’ai nulle envie d’enrichir ni mon méchant cousin, ni votre Prince Régent. J’ai ici le gros de la somme que mon oncle m’a donnée : huit mille livres sterling. Ne voudriez-vous pas en prendre soin pour moi ? N’y voyez pas seulement de l’argent ! Acceptez et gardez cette somme comme une relique de votre ami ! Je puis en avoir bien besoin avant peu. Connaissez-vous le vieux conte du géant qui donna son cœur à garder à sa femme, le jugeant