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— Vous avez vu miss Gilchrist ? demanda Chevenix, changeant de sujet.

— Miss Gilchrist, auprès de laquelle on m’a donné à entendre que nous étions, vous et moi, sur un pied de rivalité ? répliquai-je. Oui, je l’ai vue !

— Et je cherchais précisément à la voir lorsque vous m’avez arrêté ! » répondit Chevenix.

J’avais conscience d’un petit frémissement qui m’agitait tout entier ; et je crois bien que lui aussi éprouvait quelque chose d’approchant. Nous nous toisâmes de haut en bas.

« Notre situation ne laisse pas d’être originale reprit-il.

— Elle l’est tout à fait ! répondis-je. Mais laissez-moi vous dire franchement que vous soufflez sur un charbon éteint ! Je vous dois bien cet avis amical, en échange de votre bonté pour le prisonnier Champdivers.

— Par où vous voulez me faire entendre que la dame a déjà plus avantageusement disposé de ses affections ? demanda-t-il en ricanant. Mais permettez-moi de vous donner à mon tour un bon conseil ! Est-ce agir honnêtement, délicatement, est-ce agir en gentleman, que de compromettre une jeune dame par des attentions qui, comme vous le savez aussi bien que moi, ne pourront jamais aboutir à rien ? »

L’indignation et la colère m’ôtèrent la force de répondre.

« Excusez-moi si je coupe court à cette entrevue ! poursuivit Chevenix. Elle non plus ne saurait aboutir à rien, et il y a ici des personnes avec qui j’aurai plus de profit à m’entretenir.

— Vous n’y aurez aucun profit, croyez-moi ! répliquai-je. Vous êtes impuissant contre moi, l’honneur vous lie les pieds et les mains. Vous savez que je suis faussement accusé ; et, si même vous l’ignoriez, de par votre position de rival vous n’auriez vis-à-vis de moi d’autre choix qu’entre vous tenir tranquille ou vous déshonorer.

— Prenez garde aux mots que vous dites ! s’écria Chevenix avec un nouveau changement de couleur. Un mot de trop pourrait vous coûter cher ! »