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poches sous les yeux que donne l’habitude des voyages en mer. Et bientôt je découvris que les trois rameurs de l’avant, qui n’étaient cependant que de tout jeunes garçons, avaient, eux aussi, les mêmes traits et la même figure que les deux aînés : je retrouvais chez eux les épaules carrées, le long visage grave, le teint hâlé, l’œil méditatif.

J’étais en train de réfléchir à cette ressemblance, lorsque la chaloupe nous amena devant l’échelle du brig. Au haut de cette échelle, je vis une main qui m’était tendue, et je me trouvai cérémonieusement accueilli à bord par un homme de haute taille, en jaquette bleue et en culotte à l’ancienne mode ; un homme déjà fort âgé, et visiblement fatigué par la vie, mais qui n’en gardait pas moins un air de dignité le plus imposant du monde. C’était évidemment le maître du bateau, et, à en juger par la ressemblance de ses traits avec ceux de nos rameurs, le patriarche de la nombreuse famille qui naviguait sous ses ordres. Il ôta son bonnet pour nous saluer, et s’adressa à nous avec une politesse parfaite, mais aussi avec un accent de lassitude que je devais retrouver, plus tard, dans toutes ses paroles.

« Voilà une fâcheuse aventure, messieurs ! »

Nous le remerciâmes bien chaleureusement.

« Oh ! dit-il avec son air détaché, je suis trop heureux d’avoir pu vous être utile ! Le côtre de là-bas aurait mis au moins vingt minutes pour vous repêcher ! Je viens de lui signaler votre arrivée ici. Il va venir vous chercher pour vous ramener à Falmouth : ce dont vous ne serez pas fâchés, j’imagine, vu l’état où vous êtes !

— En effet, monsieur, dis-je, mes amis seront enchantés de pouvoir se sécher un peu sur la terre ferme. Quant à moi, je n’ai pas l’intention de retourner à terre ! »

Le vieillard releva la tête, et me dévisagea. Mes paroles l’avaient stupéfait, mais il était trop poli pour le laisser paraître. Il y avait dans ses yeux gris une honnêteté enfantine ; et j’y vis en même temps, une sorte de distrac-