Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/124

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appeler la pionnerie (car un idéal n’est qu’un pion !).

La vocation du prêtre l’appelle à vivre exclusivement pour l’Idée, à n’agir qu’en vue de l’Idée, de la bonne cause ; aussi le peuple sent-il combien il sied mal aux gens du clergé de laisser percer un orgueil mondain, de n’être pas insensible à la bonne chère, de se livrer à des plaisirs comme la danse et le jeu, bref de s’intéresser à ce qui n’est pas un « intérêt sacré ». On pourrait peut-être expliquer également ainsi la maigreur des traitements que reçoivent les professeurs : ils doivent se sentir amplement récompensés par la sainteté de leur mission, et faire fi des voluptés passées. Nous ne manquons pas de catalogues de ces idées sacrées dont l’homme doit regarder une ou plusieurs comme sa mission. Famille, Patrie, Science, etc., peuvent trouver en moi un serviteur fidèle à remplir ses devoirs. Nous nous heurtons ici à l’antique erreur du monde, qui n’a pas encore appris à se passer de sacerdoce ; vivre et agir pour une idée est encore toujours pour l’homme une vocation, et c’est à la fidélité avec laquelle il s’y consacre que se mesure sa valeur humaine.

Telle étant la domination des idées ou le sacerdoce, Robespierre, par exemple, Saint-Just, etc., étaient bien des prêtres ; c’étaient des inspirés, des enthousiastes, les instruments conséquents d’une idée, des champions de l’idéal. Saint-Just s’écrie dans un de ses discours : « Il y a quelque chose de terrible dans l’amour sacré de la patrie ; il est tellement exclusif qu’il immole tout sans pitié, sans frayeur, sans respect humain à l’intérêt public ; il précipite Manlius, il immole ses affaires privées, il entraîne Régulus à Carthage, jette un Romain dans un abîme et met Marat au Panthéon, victime de son dévouement . »