Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/201

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inégalité et jeté l’homme dans les bras de l’homme. Mais c’est justement ce trait d’union qui rend la rupture et l’antagonisme plus criants : une Société limitée mettait aux prises le Français et l’Allemand, le Chrétien et le Mahométan, etc., tandis que maintenant l’Homme s’oppose aux hommes, ou, puisque les hommes ne sont pas l’Homme, au non-Homme.

À cette proposition : « Dieu est devenu homme », succède à présent cette autre : « L’Homme est devenu moi ». C’est là le moi humain. Mais nous disons au contraire : je n’ai pas pu me trouver tant que je me suis cherché comme Homme. Si l’homme tente aujourd’hui de devenir moi et de gagner grâce à moi un corps, je remarque qu’en somme tout repose sur moi, et que sans moi l’Homme est perdu. Je ne puis cependant me sacrifier sur l’autel de ce Saint des Saints, et désormais je ne me demanderai plus si mes manifestations sont d’un Homme ou d’un non-Homme : que cet Esprit me laisse en paix !

Le Libéralisme humanitaire n’y va pas de main morte. Que tu veuilles, à n’importe quel point de vue, être ou avoir quelque chose de particulier, que tu prétendes au moindre avantage que n’ont pas les autres, que tu veuilles t’autoriser d’un droit qui n’est pas un des « droits généraux de l’humanité », et tu es un égoïste.

Soit, je ne prétends avoir ou être rien de particulier qui me fasse passer avant les autres, je ne veux bénéficier à leurs dépens d’aucun privilège, mais — je ne me mesure pas à la mesure des autres, et si je ne veux pas de passe-droit en ma faveur, je ne veux non plus d’aucune sorte de droit. Je veux être tout ce que je puis être, avoir tout ce que je puis avoir. Que les autres soient ou aient quelque chose d’analogue, que m’importe ? Avoir ce que j’ai, être ce que je suis, ils ne le peuvent. Je ne leur fais aucun tort, pas plus que je ne fais de tort au rocher en ayant sur lui le « privilège » du mouvement. S’il pouvait l’avoir, il l’aurait.