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Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/230

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d’où vous savez de science si certaine que la voix de la nature est une tentatrice ? Et s’il vous instiguait à renverser les rôles et à tenir franchement la voix de Dieu et de la conscience pour l’œuvre du Diable ? Il y a des hommes assez scélérats pour cela ; comment en viendriez-vous à bout ? Vous ne pourriez en appeler contre eux à vos prêtres, à vos aïeux et à vos honnêtes gens, car ils les regardent justement comme vos séducteurs : ce sont eux, disent-ils, qui ont véritablement corrompu et souillé la jeunesse, en semant à pleines mains l’ivraie du mépris de soi et du respect des dieux ; ce sont eux qui ont envasé les jeunes cœurs et abruti les jeunes cerveaux.

Mais ils vont plus loin et vous demandent : pour l’amour de quoi vous inquiétez-vous de Dieu et des autres commandements ? Vous savez bien que vous n’agissez pas par pure complaisance envers Dieu ; pour l’amour de qui prenez-vous donc tant de souci ? De nouveau — pour l’amour de vous. Ici encore vous êtes le principal, et chacun doit se dire : je suis pour moi tout, et tout ce que je fais, je le fais à cause de moi. S’il vous arrivait, ne fût-ce qu’une fois, de voir clairement que le Dieu, la loi, etc., ne font que vous nuire, qu’ils vous amoindrissent et vous corrompent, il est certain que vous les rejetteriez loin de vous, comme les Chrétiens renversèrent jadis les images de l’Apollon et de la Minerve et la morale païenne. Il est vrai qu’ils dressèrent à leur place le Christ, et plus tard la Marie, ainsi qu’une morale chrétienne, mais ils ne le firent qu’en vue du salut de leur âme, c’est-à-dire, encore une fois, par égoïsme ou individualisme.

Et ce fut ce même égoïsme, ce même individualisme, qui les débarrassa et les affranchit de l’antique monde des dieux. L’individualité fut la source d’une liberté nouvelle, car l’individualité est l’universelle créatrice ; et, depuis longtemps déjà, on regarde une de ses formes, le génie (qui toujours est singularité ou