Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/300

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si la famille est sacrée, aucun de ceux qui lui appartiennent ne peut s’en détacher, sous peine d’être « criminel » envers elle. Il ne pourra jamais poursuivre un intérêt contraire à celui de la famille ; se mésallier, par exemple, lui est interdit. Celui qui le fait « déshonore sa famille », en « fait la honte », etc.

L’individu chez qui l’instinct égoïste n’est pas assez fort se soumet : il conclut le mariage qui satisfait les prétentions de sa famille, il choisit une profession en rapport avec sa position, etc., bref, il « fait honneur à sa famille ».

Si, au contraire, le sang égoïste bout avec assez d’ardeur dans ses veines, il préfère devenir « criminel » envers la famille et se soustrait à ses lois.

Lequel m’est le plus cher, du bien de la famille ou de mon bien ? Il est des cas innombrables où les deux peuvent marcher amicalement côte à côte, où ce qui est utile à ma famille peut être pour moi une source de profits ou réciproquement. Il est alors malaisé de décider si je poursuis le bien commun ou mon bien à moi, et je me flatterai peut-être avec complaisance de mon désintéressement. Mais vient un jour où se dresse devant moi l’alternative redoutable : ou ceci, ou cela ! Il faut choisir, et par mon choix je vais peut-être déshonorer mon arbre généalogique, offenser père, mère, frères et sœurs, tous mes parents. Que faire ? C’est ici que va se montrer à nu le fond de mon cœur, et qu’on va savoir si j’ai jamais mis la piété au-dessus de l’égoïsme ; l’égoïsme ne peut plus se dissimuler sous le voile du désintéressement. Un désir s’allume dans mon âme, et, grandissant d’heure en heure, il devient passion. La plus fugitive pensée contraire à l’esprit de famille, à la piété, porte déjà en elle le germe d’un crime contre la famille ; mais qui s’avise de cela, et qui pourrait au premier moment en avoir une perception nette ? C’est l’histoire de la Juliette de Roméo et Juliette : la passion déchaînée finit par