autorisé à faire valoir mon « Mien » que si je le tiens pour le « sien », pour un fief relevant de l’État. Mes chemins doivent être ses chemins, sinon il me met à l’amende, et mes pensées ses pensées, sinon il me bâillonne.
Rien n’est plus redoutable pour l’État que la valeur du Moi ; il n’est rien dont il doive plus soigneusement me tenir à l’écart que de toute occasion de m’exploiter moi-même. Je suis l’adversaire inconciliable de l’État, qui ne peut échapper à l’étau du dilemme : lui ou moi. Aussi s’attache-t-il non seulement à paralyser le Moi, mais encore à annihiler le Mien. Il n’y a dans l’État aucune — propriété, c’est-à-dire aucune propriété de l’individu : il n’y a que des propriétés de l’État. Ce que j’ai, je ne l’ai que par l’État ; ce que je suis, je ne le suis que par lui.
Ma propriété privée n’est que ce que l’État me concède du sien, en en frustrant (privant) d’autres de ses membres : c’est toujours une propriété de l’État.
Mais quoi que fasse l’État, je sens toujours plus clairement qu’il me reste une puissance considérable ; j’ai un pouvoir sur moi-même, c’est-à-dire sur tout ce qui n’est et ne peut être qu’à moi et qui n’existe que parce que c’est mien.
Que faire, quand mon chemin n’est plus le sien, quand mes pensées ne sont plus les siennes ? Passer outre, et ne compter qu’avec moi-même et sur moi-même. Ma propriété réelle, celle dont je puis disposer à mon gré, dont je puis trafiquer à ma guise, ce sont mes pensées, qui n’ont que faire d’une sanction et qu’il m’importe peu de voir légitimer par une destination, une autorisation ou une grâce. Étant miennes, elles sont mes créatures, et je puis les abandonner pour d’autres ; si je les cède en change d’autres, ces autres deviennent à leur tour ma propriété.
Qu’est-ce donc que ma propriété ? Ce qui est en