Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/344

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il doit — intervenir. L’État, en assumant ce rôle de tampon, est devenu ce qu’était Jésus-Christ, ce qu’étaient l’Église et les Saints, un « entremetteur ». Il sépare les hommes et s’interpose entre eux comme « Esprit ».

Les ouvriers qui réclament une augmentation de salaire sont traités en criminels dès qu’ils tentent de l’arracher de force au patron. Que doivent-ils faire ? S’ils n’usent pas de leur force, ils s’en retourneront les mains vides ; mais user de sa force, recourir à la contrainte, c’est mettre en pratique le « aide-toi toi-même », c’est se faire valoir soi-même, tirer librement et réellement de sa propriété ce qu’elle vaut, toutes choses que l’État ne peut tolérer. Que faire donc, diront les travailleurs ? Que faire ? Vous compter, ne compter que sur vous-mêmes et ne pas vous occuper de l’État !

Voilà pour le travail de mes bras ; il en va de même du travail de mon cerveau. L’État me permet de tirer profit de toutes mes pensées et d’en faire l’objet d’un commerce avec les hommes (j’en tire déjà un prix, du seul fait, par exemple, qu’elles me valent l’estime ou l’admiration des auditeurs) ; il me le permet, mais pour autant seulement que mes pensées soient — ses pensées. Si je nourris, au contraire, des pensées qu’il ne peut approuver, c’est-à-dire faire siennes, il m’interdit formellement d’en réaliser la valeur, de les échanger et d’en commercer. Mes pensées ne sont libres que lorsque l’état les agrée, c’est-à-dire lorsqu’elles sont des pensées de l’État. Il ne me laisse philosopher en liberté que si je me montre « philosophe d’État » ; mais je ne puis pas philosopher contre l’État, bien qu’il me permette volontiers de remédier à ses « imperfections », de le « redresser ». — De même, donc, que je ne puis considérer mon « Moi » comme légitime que s’il porte l’estampille de l’État et s’il peut exhiber les certificats et passeports que ce dernier lui a gracieusement accordés, de même je ne suis