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Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/394

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envers lui, est en réalité un amour qui lui appartient, un tribut que je lui paie.

Tout amour auquel adhère la moindre tache d’obligation est un amour désintéressé, et aussi loin que s’étende cette tache, l’amour devient servitude. Quiconque croit devoir quelque chose à l’objet de son amour aime d’une façon romantique ou religieuse. L’amour de la famille, par exemple, tel qu’on le conçoit communément sous le nom de « piété », est un amour religieux ; de même, l’amour de la patrie qu’on prêche sous le nom de « patriotisme ». Tout ce que nous avons d’amour romantique se meut dans le même cercle : c’est partout et toujours le mensonge, ou plutôt l’illusion, d’un « amour désintéressé » ; c’est un intérêt que nous portons à l’objet pour l’amour de cet objet et non pour l’amour de nous et de nous seuls.

L’amour religieux ou romantique se distingue, il est vrai, de l’amour physique par une différence dans l’objet, mais pas par une différence dans nos rapports avec lui. À ce dernier point de vue, l’un comme l’autre est possession, servitude. Quant à l’objet, dans un cas il est profane, dans l’autre sacré. Il exerce sur moi, dans les deux cas, la même domination, seulement dans l’un il est sensible et dans l’autre spirituel (imaginaire). Mon amour n’est ma propriété que s’il consiste uniquement en un intérêt personnel et égoïste, si, par conséquent, l’objet de mon amour est réellement mon objet ou ma propriété. Or, je ne dois rien à ma propriété, et je n’ai pas de devoirs envers elle, pas plus que je n’ai, par exemple, de devoirs envers mon œil. Si j’en prends le plus grand soin, c’est pour Moi que je le fais.

L’amour n’a pas plus manqué à l’Antiquité qu’aux siècles de Christianisme ; le dieu de l’amour est né longtemps avant le Dieu d’amour. Mais il était réservé aux Modernes de connaître l’esclavage du mysticisme.