Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/397

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Le principe de l’amour m’assure contre la domination du monde ; car, quoi qu’il arrive, j’aime. Ce qui est laid, par exemple, peut m’inspirer de la répulsion, mais comme j’ai résolu d’aimer, je surmonte cette impression désagréable comme je surmonte toute autre antipathie.

Mais le sentiment auquel je me suis a priori déterminé et — condamné est, en réalité, un sentiment borné, parce qu’il résulte d’une prédestination dont il ne m’est pas possible de m’affranchir. Étant préconçu, il est un préjugé. Ce n’est plus Moi qui m’exprime dans mes rapports avec le monde, mais c’est mon amour qui s’exprime. De sorte que si le monde ne me domine pas, je suis en revanche d’autant plus fatalement dominé par l’esprit d’amour. J’ai vaincu le monde, pour devenir l’esclave de cet esprit.

Si j’ai dit d’abord : J’aime le monde, je puis tout aussi bien ajouter à présent : Je ne l’aime pas, car je l’anéantis comme je m’anéantis ; j’en use et je l’use. Je ne m’astreins pas à n’éprouver pour les hommes qu’un seul et invariable sentiment, je donne libre carrière à tous ceux dont je suis capable. Pourquoi ne le déclarerais-je pas crûment ? Oui, j’exploite le monde et les hommes ! Je puis ainsi rester ouvert à toutes espèces d’impressions, sans qu’aucune d’elles m’arrache à moi-même. Je puis aimer, aimer de toute mon âme, et laisser brûler dans mon cœur le feu dévorant de la passion, sans cependant prendre l’être aimé pour autre chose que pour l’aliment de ma passion, un aliment qui l’aiguise sans la rassasier jamais. Tous les soins dont je l’entoure ne s’adressent qu’à l’objet de mon amour, qu’à celui dont mon amour a besoin, au « bien-aimé ». Combien il me serait indifférent, — n’était mon amour ! C’est mon amour que je repais de lui, il ne me sert qu’à cela, je jouis de lui.

Choisissons un autre exemple, tout actuel, celui-ci : Je vois les hommes plongés dans les ténèbres de la superstition, harcelés par un essaim de fantômes. Si je