Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/447

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Réaliser son essence ou vivre conformément à sa notion est ce que le croyant en Dieu appelle « être pieux » et ce qu’un croyant en l’Homme appelle « vivre humainement » ; ce but, seul l’homme sensuel ou le pécheur peut se le proposer, tant qu’il a encore le choix, le choix redoutable, entre la joie des sens et la paix de l’âme, tant qu’il est un « pauvre pécheur ». Le Chrétien n’est qu’un homme sensuel qui, connaissant la sainteté et ayant conscience de la violer, se regarde comme un pauvre pécheur : la sensualité conçue comme « iniquité » fait le fond de la conscience chrétienne et le Chrétien même. Nos modernes ne disent plus le « péché » et l’ « iniquité », mais l’ « égoïsme », l’ « amour de soi », l’« intérêt personnel », etc. ; entre leurs mains le Diable a changé de peau et est devenu l’« Inhumain » ou l’ « Égoïste » ; mais cela les empêche-t-il d’être chrétiens ? Le vieux dualisme du Bien et du Mal ne reste-t-il pas debout ? N’y a-t-il plus au-dessus de nous un juge : l’Homme ? N’est-il plus de vocation ? Et « faire de soi un Homme », comment appelez-vous ça ? Je le sais, vous ne dites plus vocation, vous dites « tâche », ou encore « devoir », et ce changement de nom est très juste, car l’Homme n’est pas comme Dieu une personne qui peut « appeler » (vocare), — mais, le nom mis à part, cela ne revient-il pas exactement au même ?



Chacun de nous est en rapport avec les objets et se comporte envers eux différemment. Prenons comme exemple ce livre avec lequel des millions d’hommes ont été en rapport depuis bientôt vingt siècles : la Bible. Qu’a-t-elle été pour chacun d’eux ? Ce qu’il en a fait, et rien d’autre. Elle n’est rien pour celui qui n’en fait rien ; pour celui qui en use comme d’une amulette, elle a uniquement la valeur et la signification d’un charme ; pour l’enfant qui joue avec elle, elle est un jouet, etc.