Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/67

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son propre monde de rêves, sans lequel il ne serait pas fou, ainsi l’esprit doit créer son monde de fantômes, et, tant qu’il ne l’a pas créé, il n’est pas Esprit. Ce sont ses créations qui le font Esprit, c’est à elles qu’on le reconnaît, lui leur créateur : il vit en elles, elles sont son monde.

Qu’est-ce donc que l’Esprit ? L’Esprit est le créateur d’un monde spirituel. On reconnaît sa présence en toi et en moi dès que l’on constate que nous nous sommes approprié quelque chose de spirituel, c’est-à-dire des pensées ; que ces pensées nous aient été suggérées, peu importe, pourvu que nous leur ayons donné la vie ; car, aussi longtemps que nous étions enfants, on eût pu nous proposer les maximes les plus édifiantes sans que nous eussions la volonté ou que nous fussions en état de les recréer en nous. Ainsi donc, l’Esprit n’existe que lorsqu’il crée du spirituel, et son existence résulte de son union avec le spirituel, sa création.

Comme c’est à ses œuvres que nous le reconnaissons, il faut nous demander ce que sont ces œuvres : les œuvres, les enfants de l’Esprit ne sont autres que — des Esprits, des fantômes.

Si j’avais devant moi des Juifs, des Juifs de vieille roche, je pourrais m’arrêter ici et les laisser méditer sur le mystère de leur incrédulité et de leur incompréhension de vingt siècles. Mais comme toi, mon cher lecteur, tu n’es pas un Juif, du moins pas un Juif pur sang — nul d’entre eux ne se serait égaré jusqu’ici — nous ferons encore ensemble un bout de chemin, jusqu’à ce que toi aussi peut-être tu me tournes le dos, croyant que je me moque de toi.

Si quelqu’un te disait que tu es tout Esprit, tu te tâterais et ne le croirais pas, mais tu répondrais : « Je ne manque en vérité pas d’esprit, j’en ai, mais je n’existe pas uniquement comme esprit, je suis un homme en chair et en os. » Tu ferais encore toujours une distinction entre toi et « ton esprit ». « Mais,