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Page:Stirner - L’Unique et sa propriété, trad. Reclaire, 1900.djvu/95

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si elle voulait de toute l’énergie de sa volonté ? Non, non : qu’elle sacrifie la Volonté à l’Amour, qu’elle renonce à la Liberté — pour les beaux yeux de la Morale. Elle ne doit jamais « réclamer comme un droit » ce qu’il lui est seulement permis de « demander comme une grâce ». L’amour, le dévouement, etc., exigent impérieusement qu’il n’y ait qu’une seule volonté devant laquelle toutes les autres s’inclinent, à laquelle elles obéissent avec amour et soumission. Que cette volonté soit raisonnable ou déraisonnable, il est en tout cas moral de s’y soumettre et immoral de s’y soustraire.

La volonté qui régit la censure paraît déraisonnable à beaucoup de gens. Cependant, dans un pays où sévit la censure, celui qui lui soustrait ses écrits fait mal et celui qui les lui soumet fait bien. Que quelqu’un, dûment averti et rappelé à l’ordre par le censeur, passe outre et installe par exemple une presse clandestine, on sera en droit de l’accuser d’immoralité, et, qui plus est, de sottise s’il se fait prendre ; son aventure ne lui donnera-t-elle pas quelque titre à l’estime des « honnêtes gens » ? Qui sait ? — Peut-être s’imaginait-il servir une « moralité supérieure » ?

La toile de l’hypocrisie moderne est tendue aux confins des deux domaines entre lesquels, alternativement ballotte, notre époque tend les fils déliés du mensonge et de l’erreur. Trop faible désormais pour servir la morale sans hésitation et sans défaillance, trop scrupuleuse encore pour vivre tout à fait selon l’égoïsme, elle passe en tremblant, dans la toile d’araignée de l’hypocrisie, d’un principe à l’autre, et, paralysée par le fléau de l’incertitude, ne capture plus que de sottes et pauvres mouches. A-t-on eu l’audace grande de dire carrément son avis, aussitôt on énerve la liberté du propos par des protestations d’amour : — résignation hypocrite. A-t-on, au contraire, eu le front de combattre une affirmation libre en invoquant moralement la bonne foi, etc., aussitôt le courage