Page:Stirner - L’Unique et sa propriété.djvu/124

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esprit des sujets inconciliables, car on n’est pas vraiment homme quand on est voleur. Quand on vole, on déshonore en soi l’homme ou « l’humanité ». Ainsi je tombe de l’intérêt personnel dans la philanthropie, l’amour des hommes, habituellement si profondément incompris ; comme si c’était un amour de l’homme, de chaque individu, tandis que ce n’est qu’un amour de l’homme, du concept irréalisé, du fantôme. Ce n’est pas τοὑς ὰνθρωπους, les hommes, mais τον ὰνθρωπον, l’homme, que le philanthrope renferme en son cœur. Certes il s’inquiète de tout individu, mais seulement parce qu’il voudrait voir partout réalisé son idéal chéri.

Ainsi il n’est aucunement question de se soucier de moi, toi, nous ; il y aurait là un intérêt personnel qui se trouve à sa place au chapitre « de l’amour terrestre ». La philanthropie est un amour céleste, spirituel, — clérical. L’homme doit être rétabli en nous, quand bien même pour nous autres, pauvres diables, ce serait l’anéantissement. C’est le même principe clérical que ce fameux fiat justicia pereat mundus. L’homme et la justice sont idées, fantômes pour l’amour desquels tout est sacrifié : c’est pourquoi les esprits-prêtres sont ceux qui « font sacrifice. »

Celui qui s’exalte pour l’homme, tant que dure son enthousiasme ne fait aucune attention aux personnes et nage en plein intérêt idéal et sacré. L’homme n’est pas une personne, mais un idéal, un fantôme. Maintenant, on peut à cet homme reconnaître et conférer les attributs les plus différents. Si l’on trouve que la piété est pour lui une nécessité fondamentale, on voit surgir le cléricalisme religieux ; si l’on trouve que c’est la moralité, c’est alors le cléricalisme moral qui relève la tête. Les esprits-prêtres de nos jours voudraient faire de