Page:Stirner - L’Unique et sa propriété.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de travailleurs, depuis que le collectivisme est apparu dans la production industrielle annonçant le collectivisme social, l’ordre établi s’est vu perdu s’il n’opposait pas armée à armée. C’est une des causes profondes du maintien des armées permanentes. On a fait alors donner au Respect tout ce qu’il pouvait donner. On a joué de l’ennemi héréditaire, du péril national menaçant de tout temps la Nation, cette Sublime Personnalité de Respect. Mais c’est bien moins au delà qu’en deçà des frontières que l’homme de gouvernement voyait le péril. C’est contre l’ennemi intérieur que cet appareil formidable est dirigé. Si l’objet était bien réellement la défense du sol national, des milices suffiraient. Mais elles seraient évidemment illusoires contre une insurrection de travailleurs, puisque c’est parmi eux, au moment même de leur révolte qu’il faudrait lever les répresseurs. Si l’on en doute, que l’on médite cette parole de M. de Hansemann, président de la Banque d’escompte de Berlin, que rapporte M. Jules Huret dans son enquête sur le socialisme : « La meilleure garantie qu’on ait contre le socialisme, c’est encore un gouvernement fort et une armée disciplinée. »

Mais cette grande « école de Respect » n’est pas seulement employée à la répression ; on entrevoit aussi de l’utiliser pacifiquement au cas d’une crise sociale. Malgré tous les efforts du « dressage », on n’est pas encore parvenu à persuader à l’ouvrier qu’il a, en face du corps social, une mission, une obligation de travail et qu’il occupe dans son usine un poste de combat qu’il ne peut déserter. Il est vrai qu’il existe déjà des services publics que le travailleur ne peut abandonner quand il lui plaît, parce qu’ils intéressent « le salut de l’État ». Mais l’idée d’une grève générale est toujours dans l’air. Et il peut se faire quelque jour que les fonctions du corps social soient brusquement arrêtées. À cet égard le gouvernement a déjà ses sûretés. N’a-t-il pas avec l’armée permanente, par l’obligation du service militaire jusqu’à 45 ans, le moyen de forcer l’ouvrier à accomplir quand même sa « mission sociale » et à exécuter, travesti en soldat les travaux qu’il a refusé hier d’accomplir en blouse. Il y a des précédents.