Page:Stirner - L’Unique et sa propriété.djvu/20

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Ainsi, dit Stirner, une vie humaine n’est que la peur perpétuelle des revenants. Peur qu’on décore du nom de Respect. C’est le Respect qui arrête tremblant Robespierre au moment où il va céder aux objurgations des siens et marcher sur la Convention. Comme ses amis l’adjuraient de faire canonner la Convention par Henriot, il répétait à tout instant : « Mais est-ce légal, est-ce légal ? » Hésitation qui le perdit. Napoléon lui-même, au 18 Brumaire, eut une défaillance et faillit s’évanouir au moment de porter à la « représentation nationale » le coup suprême. Au-dessus de la Convention, au-dessus des Cinq-Cents planait le fantôme de la loi. Ceux-là mêmes qui avaient su libérer leurs âmes de bien des scrupules portaient encore l’empreinte de l’éducation et n’échappaient pas encore au Respect. Que dire des âmes du vulgaire ? Les gendarmes que la Commune envoyait fusiller rue Haxo étaient conduits par une troupe infime et traversaient une foule sympathique qui leur criait de s’enfuir. Ils le pouvaient évidemment et cependant aucun n’osa. Habitués à l’obéissance passive, l’autorité à laquelle ils étaient soumis antérieurement ayant disparu, d’instinct ils obéissaient jusque dans la mort à la Commune qui devait être l’autorité, puisqu’elle disait l’être et qu’elle en prenait les insignes.

Pourtant, de temps à autre, au cours de l’histoire, des événements singuliers surgissent qui laissent voir la conception étrange que les gouvernants se font de ces « causes sacrées. » Le voile se soulève et l’on aperçoit que les masses sont seules à contempler ces idéals. Il apparaît que ces « principes supérieurs » sont simplement des mobiles directeurs que les conducteurs de peuples entretiennent soigneusement dans les intelligences, dont ils reconnaissent la nécessité absolue, mais qu’ils ne considèrent pas le moins du monde comme devant déterminer leurs propres actes — politiques tout au moins. Un symptôme de ce qui se passe dans les sphères gouvernementales est cette parole que, depuis un siècle, nombre de « gens éclairés » prononcent avec gravité : « il faut une religion pour le peuple », considérant naturellement qu’en raison