Page:Stirner - L’Unique et sa propriété.djvu/257

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isolé (« l’individu ») peut seulement « s’élever au-dessus des bornes de son individualité, non au-dessus des lois, qui déterminent essentiellement et positivement son espèce[1]. » Mais l’espèce n’est rien et quand l’individu s’élève au-dessus des bornes de son individualité c’est bien plutôt lui-même comme individu qu’il élève, et il n’est que tant qu’il s’élève, et il n’est que tant qu’il ne reste pas ce qu’il est, autrement il serait fini, mort. L’homme n’est qu’un idéal, l’espèce n’existe que dans la pensée. Être un homme ne signifie pas remplir l’idéal de l’homme, mais se manifester soi, l’individu. Ma tâche n’est pas de réaliser le concept général de l’homme, mais de me suffire à moi-même. C’est moi qui suis mon espèce, je n’ai ni norme, ni loi, ni modèle, ni autres bornes du même genre. Possible qu’avec mon seul moi je puisse très peu de chose, mais ce peu est tout, ce peu vaut mieux que ce que je ferais de moi par la force des autres, par le dressage des mœurs, de la religion, des lois, de l’État, etc. Mieux vaut — s’il faut qu’il soit question du mieux — mieux vaut un enfant sans éducation qu’un enfant savant avant l’âge, un homme rétif qu’un autre qui se plie docilement à tout. L’homme sans éducation, l’homme qui se cabre, a encore le moyen de se former suivant sa propre volonté, l’homme mûri avant l’âge et docile est déterminé par l’espèce et par ses exigences, elle est pour lui la loi. Elle le détermine ; car qu’est pour lui l’espèce, sinon « sa détermination », « sa mission ». Que je considère l’humanité, « l’espèce » comme un idéal vers lequel je dois tendre, ou que je fasse le même effort vers Dieu ou Christ : où est la différence essentielle ? Tout au plus peut-on dire que l’un des idéals est plus déformé que l’autre. De même que

  1. Wesen des Christenthums, p. 401.