Page:Stirner - L’Unique et sa propriété.djvu/407

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cours à tous ceux dont je suis capable. Pourquoi ne pas exprimer la chose dans toute sa nudité ? Oui, j’utilise à mon profit le monde et les hommes ! De plus, je puis rester ouvert à toutes les impressions, sans qu’aucune d’elles ne m’arrache à moi-même. Je puis aimer, aimer de toute mon âme, être consumé des feux les plus ardents, sans prendre l’aimé pour autre chose que pour l’aliment où ma passion reprend à tout instant une vie nouvelle. Tout mon soin pour lui ne s’adresse qu’à l’objet de mon amour, à lui seul dont mon amour a besoin, à lui seul, « le bien-aimé ». Comme il me serait indifférent sans cet amour que j’ai pour lui ! C’est seulement mon amour dont je me nourris en lui, je ne l’emploie qu’à cela ; j’en jouis.

Choisissons un autre exemple très voisin. Je vois comment les hommes enfoncés dans leur sombre superstition sont tourmentés par un essaim de fantômes. Croyez-vous que si j’essaie, dans la mesure de mes forces, de projeter un peu de lumière sur ces esprits nocturnes, c’est l’amour que j’ai pour vous qui m’y pousse ? Est-ce par amour des hommes que j’écris ? Non, j’écris parce que je veux donner à mes pensées une existence dans le monde, et si je pouvais prévoir que ces pensées vous feraient perdre la tranquillité et la paix, et si je voyais les guerres les plus sanglantes et la ruine de plusieurs générations germer de cette graine de pensées : je la sèmerais cependant. Faites-en ce que vous voudrez, c’est votre affaire et cela ne m’inquiète guère. Peut-être n’en aurez-vous que tristesse, combats et mort ; seul le tout petit nombre en tirera de la joie. Si j’avais votre bien au cœur, j’agirais comme l’Église, quand elle retira la Bible aux laïques, ou comme les gouvernements chrétiens qui se font un