Page:Stirner - L’Unique et sa propriété.djvu/450

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mille noms divers, se jouera de moi. Comme je ne suis pas encore moi, c’est un autre (Dieu, l’homme vrai, l’homme vraiment pieux, l’homme raisonnable, l’homme libre, etc.) qui est moi, mon moi.

Encore bien loin de moi, je me sépare en deux moitiés dont l’une, non encore atteinte et qui doit être accomplie, est la vraie. Celle qui n’est pas la Vraie doit être livrée en sacrifice, c’est la matérielle, l’autre qui est la vraie, doit être tout l’homme, c’est l’esprit. On dit alors : « l’esprit est le propre de l’homme » ou « l’homme en tant qu’homme n’existe que comme esprit ». Toutes les énergies sont maintenant tournées à saisir l’esprit, comme si c’était soi que l’on voulait saisir, et dans cette poursuite au moi, on perd de vue que l’on est soi-même.

Et tandis qu’on s’acharne violemment à la recherche de ce moi, jamais atteint, on méprise aussi les règles de sagesse qui consistent à prendre les hommes comme ils sont ; on préfère les prendre comme ils devraient être, c’est pourquoi l’on chasse chacun vers le moi qu’il doit être et « l’on s’efforce de faire de tous des hommes également autorisés, également estimables, également moraux ou raisonnables[1] ».

« Oui, si les hommes étaient ce qu’ils devraient, ce qu’ils pourraient être, s’ils s’aimaient tous en frères, s’ils étaient tous raisonnables, ce serait le Paradis sur la terre[2]. » — Eh bien ! les hommes sont comme ils doivent, comme ils peuvent être. Que doivent-ils être ? Certes, rien de plus qu’ils ne peuvent être et que peuvent-ils être ? Naturellement pas plus qu’ils n’ont le pouvoir, c’est-à-dire le moyen, la force d’être. Mais

  1. Le communisme en Suisse, page 24.
  2. Idem, page 63.