Page:Strauss David - Vie de Jésus, tome 1, Ladrange 1856.djvu/151

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Jésus, il a opéré des choses à jamais impossibles dans le cours régulier de la nature.

En contradiction avec cette opinion antique, les modernes doivent à une série des plus pénibles recherches prolongées pendant des siècles, de concevoir que tout dans le monde est enchaîné par une chaîne de causes et d’effets qui ne souffre aucune interruption. À la vérité, les choses particulières et les sphères des choses ne sont pas tellement circonscrites dans leurs limites respectives qu’elles demeurent inaccessibles à une action, à une interruption du dehors : loin de là, les influences d’un objet ou d’un règne de la nature s’engrènent les unes dans les autres ; le libre arbitre de l’homme brise le développement de mainte chose, et les causes naturelles réagissent, à leur tour, sur la liberté humaine. Mais toujours est-il que l’universalité des choses finies forme un cercle immense qui, devant, il est vrai, son existence et sa constitution présente à une cause supérieure, demeure impénétrable à quoi que ce soit venant du dehors. Cette conviction est tellement entrée en la conscience du monde moderne que, dans la vie réelle, croire ou soutenir que l’action divine s’est manifestée quelque part immédiatement, c’est se faire considérer comme un ignorant ou un imposteur. Et même cette conviction a été poussée jusqu’à l’extrême : quand les lumières modernes eurent engendré une opinion directement opposée à celle de la Bible, ou bien on écarta complètement la causalité divine, ou bien on ne lui laissa d’action immédiate que dans la création, supposant qu’à partir de ce moment, cette action était devenue médiate, c’est-à-dire que Dieu n’agissait plus sur le monde que par la direction même qu’il lui avait donnée en le créant. Du point de vue où l’on aperçoit, dans la nature et dans l’histoire, un tissu serré de causes finies et d’effets, il était impossible de considérer comme de l’histoire les récits bibliques dans lesquels ce tissu paraît troué, en d’innom-