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Page:Stuart Merrill - Prose et vers (1925).pdf/126

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privée, il vint reprocher à l’un sa difformité physique, à l’autre ses amitiés, à d’autres leurs amours.

« … Ces messieurs de la rive droite durent être quelque peu embarrassés pour édifier les deux colonnes et quelques lignes dont se compose « l’article ». Ils ignoraient nombre de plaquettes de vers parues çà et là, et ne fréquentaient pas certainement chez Trézenik et Rall. Car Lutèce est peu aimée, et cela se conçoit. Lutèce est un périodique coup de pied au cul des chroniqueurs ignares, des reporters imbéciles. On n’y respecte pas les maîtres, et lorsque Zola et Cladel publient l’Œuvre et la Mi-Diable avec l’admirative approbation de la presse, Lutèce pousse le cri d’alarme : « Zola se meurt, Cladel est mort ! »

« … Lutèce publie successivement les vers de Jean Rameau, G. d’Esparbès, Edmond Haraucourt, Fernand Icres, Henri Beauclair (Adoré Floupette), Émile Goudeau, Georges Lorin, Vignier, L. Tailhade, Jean Moréas, Robert Caze, Paul Verlaine enfin, qui est peut-être le plus curieux poète de ce temps.

« … Les collaborateurs vont cueillir la feuille au sortir des presses, le vendredi soir. On rencontre à l’imprimerie Verlaine, Moréas, Caze, de Régnier, Grenet-Dancourt, G. Lorin, J. Vidal, P. Adam, R. Darzens, E. Mikhaël, Raynaud, Griffin, Norès, Colh, Henri Maugis, le critique théâtral, — et les heures passent à médire des absents — tout le monde debout, nul ne remarquant qu’il n’y a que deux chaises dans la salle de rédaction. Imprimerie, direction, rédaction, c’est tout un. Léo Trézenik et Georges Rall sont imprimeurs, là-bas, près de la Halle-aux-Vins ; et c’est avec la blouse de typo qu’ils reçurent un jour Jean Lorrain, luisant, pourri de chic, et s’obstinant à demander : le directeur ? Grâce à cette imprimerie, ils se sont assurés une suprême indépendance : les directeurs de Lutèce sont maîtres chez eux ; ils rédigent, ils impriment comme tel est leur bon plaisir ; souvent excessifs, souvent injustes, mais par l’amour de l’art. »