Aller au contenu

Page:Stuart Merrill - Prose et vers (1925).pdf/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa gloire. Quoique courtois et délicat, il était accoutumé en ville à s’écouter causer, il n’aimait guère qu’on lui opposât un interlocuteur. Nous étions six à dîner : Wilde, Moréas, Raynaud, La Tailhède, du Plessys et moi. Le repas se passa le mieux du monde. Au dessert, Oscar Wilde inclina sa haute taille vers Moréas, et lui demanda de réciter des vers. « Je ne dis jamais rien, répondit Moréas, mais si vous le voulez bien, notre ami Raynaud nous récitera quelque chose. » Raynaud se leva, et ses poings redoutables appuyés sur la table, il annonça : « Sonnet à Jean Moréas ! » Il recueillit nos applaudissements, puis Wilde insista de nouveau auprès de Moréas. « Non, mais notre ami La Tailhède… » À son tour celui-ci se dressa, et, le monocle fixé à l’œil, il lança d’une voix claire : « Ode à Jean Morẻas ! » Wilde s’énervait visiblement du culte rendu par l’école romane à son chef ; néanmoins, il continua, par courtoisie, ses instances. « Du Plessys, dites-nous vos derniers vers », commanda le Maître. Surgi d’un jet, du Plessys claironna d’une voix vibrante : « Le tombeau de Jean Moréas ! » Oscar Wilde suffoqué, vaincu, dérouté, lui qui, dans les salons de Londres, faisait le silence autour de lui, demanda son chapeau et son pardessus, et s’enfuit dans la nuit. C’était certes la première fois qu’on avait autour d’une