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Page:Stuart Merrill - Prose et vers (1925).pdf/180

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c’est que votre raison raisonnante ne sait point se passer de la vie vivante. Je dis expressément, et non par pléonasme, se passer de la vie vivante. Car la vie est partout, et non toujours où l’on croit. Elle est plus ardente au fond des bibliothèques que dans la mêlée de la rue ; oui, jeunes gens qui croyez pauvrement que l’aéroplane est plus vivant que la Chimère. Mais justement, voici un penseur qui doit vous plaire. La vie au jour le jour, la vie agissante, la vie qui touche immédiatement à nos sens l’excite, le stimule, l’enivre. Il a besoin de vivre pour penser, comme les méridionaux ont besoin de parler.

Deux hommes dans la génération symboliste n’ont jamais cessé de m’étonner : Paul Fort et Remy de Gourmont. Tous deux ont la même passion de la vie ; mais l’un y recueille des idées et l’autre des images. Tous deux doivent être parfaitement heureux, ou du moins ils ne doivent jamais s’ennuyer, puisque la Nature offre à profusion les images les plus hétéroclites et inspire les réflexions les plus disparates. Un des plus sérieux éléments de la joie c’est la surprise. Et l’on sent que Remy de Gourmont autant que Paul Fort a gardé devant les choses l’étonnement perpétuel d’un homme qui se croit sceptique, mais qui est resté, pour notre bonheur, comme un enfant.