Page:Stupuy - Henri Brisson, 1883.djvu/15

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Vers la fin de 1860, sa maladie s’aggravant, on lui conseilla de laisser ses travaux durant un hiver ; il va le passer en Égypte. Ce pays semble l’avoir vivement impressionné, si l’on en croit des lettres adressées à un ami et qui furent alors publiées. Nous en citerons quelques lignes ; elles piqueront sans doute la curiosité du lecteur, car elles ne faisaient guère prévoir la manière sobre qui prévaut aujourd’hui dans les allocutions du président de la Chambre. Il habitait les bords du Nil.

À quelque cinquante mètres en amont de ma demeure, écrit-il, un bateau plat fait le service de la rive droite à l’île de Roudah. Deux Arabes se distribuent la besogne : l’un d’eux remonte d’abord le long de la berge à l’aide d’une perche qu’il enfonce dans le sol ; puis l’autre s’assied à l’arrière et gouverne de façon que le courant porte naturellement le bac à l’autre bord. Les acteurs ordinaires de ce drame sont, outre les deux nochers, quelques ânes chargés de paille et de bersine, qui est une espèce de trèfle, quatre ou cinq fellahs, une ou deux femmes, quelquefois un chameau ; cette traversée se renouvelle une cinquantaine de fois par jour et il m’est arrivé de la suivre des yeux pendant des heures entières. Je vous ai dit à peu près le cadre où ce tableau s’agite, mais comment vous peindre la lumière en laquelle il passe comme un rêve incandescent ? C’est une féerie de couleur ; le fleuve, les deux rives, l’horizon, l’atmosphère, tout flamboie ; il n’y a point d’ombre et la vue, en même temps qu’elle porte à des distances immenses, semble traverser les corps ; illuminés et diaphanes, les objets se détachent et s’enlèvent comme des êtres éthérés ; une merveilleuse transparence les enveloppe, les