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ne lui avoir conservé son titre que parce que Adrien l’avait fait adopter à Antonin le Pieux, pour l’appeler son petit-fils. Antonin, qui aimait surtout la candeur et la simplicité, ne cessait d’exhorter Vérus à imiter son frère.

Après la mort d’Antonin le Pieux, Marc-Aurèle combla Vérus de distinctions, l’admit au partage du pouvoir suprême, et le fit son collègue, quoique le sénat n’eût déféré l’empire qu’à lui seul.

IV.

Non content de l’avoir élevé au trône, de lui avoir conféré la puissance tribunitienne et l’honneur du proconsulat, il lui donna encore son nom de Vérus, à la place de celui de Commode, qu’il avait porté jusque-là. Vérus se montra, il est vrai, reconnaissant des bienfaits de Marc-Aurèle, et lui fut soumis comme un lieutenant l’est à un proconsul, ou un gouverneur de province à l’empereur. C’était, en effet, Marc-Aurèle qui parlait pour tous deux aux soldats ; et Vérus ne faisait rien que d’après les principes et de l’aveu de Marc-Aurèle.

Mais dès qu’il fut parti en Syrie, il se déshonora par la licence de sa vie, par des adultères, par des amours honteux. Ses mœurs étaient, dit-on, si dissolues, qu’à son retour il établit dans sa maison une taverne, où il se rendait après avoir quitté la table de Marc-Aurèle, et il s’y faisait servir par tout ce qu’il y avait de plus infâme à Rome. On rapporte aussi qu’il passait des nuits entières au jeu ; passion qu’il avait contractée en Syrie. Emule des Caligula, des Néron, des Vitellius, il courait, pendant la nuit, les cabarets et les lieux de débauche, la tête enveloppée d’un mauvais capuchon de voyageur ; il se mêlait, ainsi déguisé, parmi les tapageurs, engageait des rixes, et revenait souvent le visage et le corps tout meurtris. Il était bien connu dans les tavernes, malgré ses déguisements. Il s’y amusait aussi à jeter de grosses pièces de monnaie contre les vases, pour les briser. Il aimait les cochers du cirque, et favorisait la faction prasine. Il donnait souvent des combats de gladiateurs pendant ses festins, qu’il prolongeait toute la nuit ; il s’endormait parfois à table, et on le portait alors sur des couvertures dans sa chambre à coucher. Il donnait fort peu de temps au sommeil, et il digérait très vite. Marc-Aurèle feignit d’ignorer cette conduite, et ne lui fit point de reproches, ayant honte d’en adresser à son frère.

V.

Plusieurs historiens ont parlé d’un repas qu’il donna, et où se trouvèrent, dit-on, réunis pour la première fois douze personnes, malgré ce mot si connu sur le nombre des convives : « Sept font un festin, et neuf une cohue. » A chacun d’eux il donna de beaux esclaves qui servaient d’échansons ; il donna des maîtres d’hôtel et des plats de sa table ; il donna des animaux vivants, des oiseaux et des quadrupèdes apprivoisés ou sauvages, et de la même espèce que ceux dont on avait servi les viandes ; il donna toutes les coupes où chacun avait bu, et l’on ne buvait jamais deux fois dans la même (coupes murrhines ou de cristal d’Alexandrie ; coupes d’or ou d’argent, garnies de pierres précieuses) ; il donna des couronnes ornées de lames d’or et des fleurs les plus rares ; il donna des vases d’or pleins d’essences, et pareils à ceux qu’on fait en albâtre ; enfin chacun reçut encore, pour s’en retourner, une voiture avec des muletiers et des mules chargées de harnais d’argent. Toutes les