Page:Suarès - Tolstoï.djvu/110

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grand des hommes ne dépend pas de l’approbation d’autrui, mais son œuvre en dépend ; il ne peut se le nier. Les tyrans le savent bien, qui forcent l’assentiment. Ils y emploient des moyens à eux, qui touchent à la folie, à demi absurdes, — comme le semble toujours la violence exercée sur la pensée, — qui, par nature, lui échappe. On n’agit point dans le monde, s’il ne prend sa part de votre affirmation. C’est pourquoi la solitude, si nécessaire à l’homme de génie, finit par lui être une nécessité si terrible. Elle ruine en lui la croyance à sa propre action. Elle la réduit, en quelque sorte, à devenir négative.

Or, qu’est-ce bien qu’une action négative ? Il n’y a rien de vivant dans une négation. Il vaut mieux se tromper sur ce qu’on affirme, que nier à bon escient, — et par principe. Une grande pensée, qui n’agit pas, solitaire par contrainte, après l’avoir été par goût, faute de l’affirmation d’autrui, devient insupportable à elle-même : car il lui semble qu’elle nie. — Tolstoï a longtemps connu ce supplice ; peut-être, le connaît-il encore.