Page:Suarès - Tolstoï.djvu/79

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l’amour unique de soi fait aux autres. Enfin, on se sert de la morale pour avilir ce que l’esprit relève : car, bon gré, mal gré, jamais l’intelligence ne prendra parti dans l’homme contre ce qui fait sa force.

Tolstoï enfant est égoïste, comme tous les enfants. Il ramène tout à soi. La plupart des hommes fait de même ; mais elle se fait craindre ou haïr par là ; car l’amour-propre des uns se heurte à celui des autres ; ils se combattent ; ils s’envient ; ils se nuisent ; et c’est proprement en quoi le moi est haïssable au moi. Tolstoï, sous la figure de Bésoukhow et de Lévine, fait encore assez souvent l’effet d’un homme plein d’amour-propre. Mais, en dépit de ses violences, on ne peut ni le mépriser, ni le haïr. On l’aime, au contraire. Comme le moi des enfants se fait aimer, le sien n’est point odieux ; et, là même où il semble sans agrément, il est aimable. C’est que ce moi ne s’aime point. Avec tout son orgueil, sa violence et parfois sa brutalité, il n’a aucune complaisance pour lui-même.

Ici l’on voit comment ce que la morale condamne dans l’égoïsme n’est pas du tout ce qu’y connaît l’esprit.