Page:Suarès - Tolstoï.djvu/82

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le moi est puissant, il faudrait croire que de tous les hommes le grand égoïste est le moins sujet à ce qu’on nomme égoïsme. Apprenez à réconcilier la grandeur de l’âme avec le cœur : il n’y faut, peut-être, qu’une divine imagination.

L’amour de soi et la force du moi ne se doivent donc pas confondre. Il est d’un dommage continuel, pour la raison, de ne point distinguer des objets si contraires. Que faire d’une âme sans force ? — Encore bien moins le meilleur que le pire des hommes. On n’aura jamais assez la crainte de la médiocrité du cœur. Il est vrai : le moi puissant ramène tout à soi, ou le semble ; comme l’enfant, il est le centre de l’univers : mais admirez qu’il puisse être celui des caresses. Il y a une plus belle vertu qu’on ne croit dans l’art qu’on a de se faire aimer. Et quoi qu’en disent les roués, — qui se fait beaucoup aimer, même s’il feint de n’aimer pas, il aime. Les roués, en conduite ou en esprit, ne voient que le moindre côté des choses. Ils ne connaissent que l’amour charnel. Mais le vaste amour de l’univers, l’idée même leur en est étrangère.

Ainsi, orgueilleux, violent et passionné, Tolstoï,