Page:Suarès - Tolstoï.djvu/83

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qu’assez bassement on a dit égoïste, n’est égoïste qu’au sens où il a l’âme puissante, qu’il le sait, et qu’il ne cache pas cette puissance. Supposé même qu’il l’oppose brutalement à la faiblesse d’autrui, ce n’est point égoïsme en lui, mais force. Ce l’est pourtant en vous. Veut-on que l’homme le plus fort du monde soit docile, humble, souple d’échine, prompt à céder, sans instinct de domination ? — Mais, quand il devrait l’être, le pourrait-il, sans cesser d’être ce qu’il est ? — Ou attend-on de la force la plus grande qu’elle soit faible en effet ? — Elle pourra vouloir l’être ; elle pourra se donner un jour cette loi ; et jamais elle ne saura s’y plier.

Je sais que ce moi puissant effraye. Quand il a marqué ce qu’il veut, et qu’il y applique sa force, elle se fait jour avec violence. Elle n’a pas égard à ce qui l’arrête ; elle y va contre, sans mesure, quelquefois même sans pitié. Elle renverse les obstacles ; elle les broie ; ou le médite. Elle est pleine de heurts pour tout le monde ; elle semble insolente, et elle n’est pas toujours sans cruauté. La grande pluie d’avril, qui fait lever les blés, noie une foule d’insectes ; et ces bestioles se plaignent d’une telle injustice. Mais le pain de la