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roses, le cou ployé, attendant sa proie, reste immobile au bord de l’eau, comme ces figures symboliques du culte des Hindous.

Situé dans le creux du bassin formé par les montagnes inaccessibles de Bournou, bien loin de Tripoli et de la côte d’Afrique, ce lac apparaît là, frais, pur, ignoré, comme une goutte de rosée au fond d’une touffe d’herbes.

Entouré d’acacias, de cocotiers, de palmiers, de bananiers qui réfléchissent leurs mille nuances de verdure dans ses eaux transparentes, c’est à peine s’il reste une place au milieu pour y voir trembler le bleu du ciel, tant ces arbres sont élevés et touffus !


Alice.

Et puis, la grève est si égale, si blanche ; la prairie qui la cerne est d’un gazon si frais, si émaillé, que c’est un lieu de délices pour les fouas aux plumes violettes, les sarcelles, les pélicans, les grues qui viennent y jouer en sortant de l’eau, et faire étinceler au soleil les diamants qui tombent de leurs ailes humides.

Mais, mon Dieu ! quels cris, quelle peur ! Voilà que la troupe aquatique tournoie, s’envole, et va s’abattre sur un petit îlot, couvert de jeunes mélèzes, de thuyas et de tubéreuses.

Pauvres oiseaux, pourquoi fuir ? Ce n’est pourtant pas une image bien effrayante que celle de Leila, jeune Indienne jolie, svelte, accorte et brune, qui s’avance pensive, vêtue d’un bouakan de coton ponceau attaché autour de sa taille avec une ceinture de soie blanche.

Leila tenait à la main une petite corbeille de joncs, qu’elle remplit de fleurs choisies avec soin. Arrivée près d’un magnolia rouge, elle s’apprêtait à le dépouiller de sa brillante couronne, lorsqu’elle poussa un petit cri de surprise et s’arrêta.

Allongeant alors en cône une feuille de bananier épaisse et luisante, elle y fit rouler, en le poussant avec une branche d’acacia fleurie, un gros œuf d’un blanc mat et rosé, puis posa la feuille sur la cime d’un lilas de Perse.

Reprenant alors sa corbeille émaillée, parfumée, de mille fleurs, elle la livra aux flots du lac, et, inquiète, suivit du regard cette nacelle embaumée.

Alors la faible brise qui caressait la surface des eaux s’engouffra dans ces feuilles de roses, rugit dans les étamines de ces lis vermeils et entraîna le navire sur l’îlot où s’étaient réfugiés les oiseaux.

Triste et terrible naufrage dont les débris épars s’attachèrent à des brins d’herbes ou à de petits coquillages de toutes couleurs qui scintillaient comme des pierreries.

Leila parut pourtant peinée de ce naufrage, car ce fut avec une expression de chagrin qu’elle prit l’œuf renfermé dans la feuille, et, pensive, elle s’arrêta plus d’une fois avant d’atteindre le temple de Lari.

Aussi le soleil se coucha comme elle y arrivait.

Le temple de Lari formait à l’intérieur un long parallélogramme construit en bambous odorants, liés entre eux par des câbles de coton aux couleurs vives et tranchées que Leila distinguait à peine : car plusieurs nids de taméos, remplis de vers luisants dont ces oiseaux garnissent leurs retraites, jetaient seuls quelque clarté au milieu des ténèbres. Et, à voir ces nids entourés d’une auréole bleuâtre, qui rayonnaient çà et là suspendus dans l’ombre, on eût dit de nombreuses girandoles de saphir, reflétant les lueurs changeantes et prismatiques de l’opale.

Peut-être cet aspect lugubre eût augmenté le chagrin de Leila, si les chants du taméos, qui s’exhalaient en murmures harmonieux et plaintifs, n’étaient venus, par leur ravissante et naïve mélodie, changer la tristesse de la jeune Arabe en mélancolie douce et rêveuse. Leila s’avança vers le sanctuaire.


L’élu du grand scheik des Vallons Verts.

Au fond du temple, le coupant dans toute sa largeur, s’étendait un vaste rideau pourpre de damas de Perse, à fleurs d’argent. Son étoffe soyeuse et transparente paraissait cacher un foyer de lumière. Car des reflets d’un rouge vif éclataient d’abord sur l’arête des colonnades de bambous le plus rapprochées du sanctuaire ; puis, s’affaiblissant, se dégradant, cette teinte, d’abord foncée, allait s’éteindre et mourir décolorée dans les ténèbres qui enveloppaient le reste de cet asile sacré.

Tout près du rideau, richement empourprée par les tons qui s’en échappaient, une légère balustrade de roseaux peints semblait défendre l’entrée du sanctuaire. Cette élégante galerie était ornée de merveil-